Droit des assurances – Fabriquant et exploitant de médicaments – changement de formule - Levothyrox – effets indésirables – défaut d’information
Par un arrêt du 16 mars 2022 (n°20-19.786, n°255 B), la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de savoir si les fabriquants et exploitants du Levothyrox (les sociétés Merck) pouvaient être tenus civilement responsables d’un défaut d’information relatif au changement de formule de leur médicament.
Le Levothyrox est un médicament prescrit pour le traitement de l’hypothyroïdie.
En mars 2017, les sociétés Merck avaient modifié sa composition en remplaçant l’un de ses excipients (le lactose monohydraté) par du mannitol et de l’acide citrique, conformément à une recommandation faite par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. En effet, l’ancienne formule ne bénéficiait plus de l’autorisation de mise sur le marché devant être obligatoirement obtenue par les médicaments pendant toute la durée de leur commercialisation.
Quelques mois après ces modifications, de nombreux patients traités au moyen du Levothyrox ont fait état d’effets indésirables et plusieurs complications ont été déclarées par le système de la pharmacovigilance.
Une action collective conjointe a été initiée devant le tribunal judiciaire de Lyon par plus de 4000 patients, qui souhaitaient obtenir la réparation du préjudice moral résultant du manquement des laboratoires à leur obligation d’information envers eux. L’ensemble de ces demandes ont été rejetées en première instance.
Il a été fait appel de ce jugement.
Par une série d’arrêts du 25 juin 2020, la cour d’appel de Lyon a déclaré les laboratoires civilement responsables du défaut d’information relatif au changement de formule de leur médicament.
Ces derniers se sont par conséquent pourvus en cassation, en soulevant trois moyens distincts.
Tout d’abord, les sociétés ont contesté le fondement de l’action choisie par les victimes.
En effet, ils ont reproché au juge d’appel d’avoir décidé que l’action en responsabilité délictuelle introduite par les patients était recevable, alors qu’elle était fondée sur le défaut d’information, qui est à la fois constitutif d’une faute au sens de l’article 1240 du Code civil et du défaut de sécurité d’un produit pour défaut de présentation au sens de l’article 1245-3 du Code civil.
Ainsi, selon les sociétés, l’action des patients devait par conséquent se fonder exclusivement sur le régime des produits défectueux, puisqu’aucun fondement distinct ne permettait d’intenter une action sur le fondement de la responsabilité délictuelle de droit commun.
La Cour de cassation a considéré que ce moyen contestant la recevabilité de l’action en responsabilité délictuelle était irrecevable, puisque ce point n’avait pas été contesté en appel par les sociétés Merck, qui avaient soutenu au contraire que leur responsabilité pouvait être recherchée, soit au titre de la responsabilité sans faute du fait des produits défectueux, soit pour faute – ce qui impose de démontrer une faute délictuelle.
Ensuite, les sociétés ont reproché à la cour d’appel d’avoir mal interprété les dispositions (notamment réglementaires et européennes) relatives à la formalisation de l’information présente sur la notice des médicaments.
En effet, la cour d’appel a retenu que « la notice ne contenait pas de mention significative du changement de formule mais un simple remplacement (manitol au lieu de lactose) et ajout (acide citrique) de termes dans un texte dense et imprimé en petits caractères ». Selon les juges du fond, la modification de formule justifiait une mise en garde spéciale sur le conditionnement et dans la notice.
Les sociétés soutiennent quant à elles que l’absence d’opposition de l’autorité compétente à la mise sur le marché ou à la modification de l’étiquetage ou de la notice « caractérise la conformité de l’étiquetage et de la notice du produit aux exigences réglementaires en la matière, excluant par là-même toute faute délictuelle du fabriquant à cet égard ».
La Cour de cassation constate que la notice et l’emballage d’un médicament doivent comporter différentes informations, tel que le prévoit le Code de la santé publique.
Elle en conclut que « la validation par l’autorité de santé de la notice et de l’étiquetage du produit ne fait pas, à elle seule, obstacle à une responsabilité pour faute du fabriquant ».
Ainsi, elle se range derrière l’appréciation des juges d'appel et décide qu’ils ont valablement déduit que les société Merck avaient commis une faute, puisque l’information des patients aurait dû être assurée de manière plus appropriée et plus explicite.
Enfin, à travers un troisième moyen, les laboratoires ont reproché à la cour d’appel d’avoir accordé aux demandeurs la réparation d’un préjudice moral découlant d’un défaut d’information relatif au changement de composition du Levothyrox, alors qu’elle n’avait pas auparavant constater si, effectivement, chacun des patients avait ressenti des troubles liés à la réalisation des risques dus à ce changement.
Ainsi, à travers ce moyen, la Cour de cassation a été amenée à s’interroger sur à la question de savoir si un préjudice moral pouvait réellement découler du défaut d’information caractérisé en l’espèce.
La Cour de cassation a repris le raisonnement de la cour d’appel, qui avait retenu que les requérants avaient ressenti différents troubles concomitamment à la prise du Levothyrox et « qu’en l’absence de toute information sur la modification de sa composition et de possibilité de les rattacher à cette modification, ils s’étaient trouvés désemparés pour faire face à ces troubles et engager les démarches appropriées auprès des professionnels de santé et qu’ils avaient subi un préjudice moral temporaire jusqu’à ce qu’ils aient été informés de cette modification ».
Dès lors, un tel préjudice moral était effectivement imputable au défaut d’information sur la modification de l’excipient.
En considération de tous ces éléments, la Cour de cassation a rejeté l’ensemble des pourvois et a confirmé la condamnation prononcée à l’encontre des sociétés Merck.