Par un arrêt du 6 avril 2022 (n°21-12.825), la Cour de cassation a élargi sa définition de la condition d’anormalité du dommage en affirmant que cette dernière était remplie lorsque l’intervention médicale a provoqué la survenue prématurée des troubles auxquels la victime était exposée.
Néanmoins, l’indemnisation du patient au titre de la solidarité nationale n’est due que jusqu’à la date à laquelle les troubles seraient apparus en l’absence de survenance de l’accident médical.
Un patient atteint d’un handicap intermittent dû à une courte occlusion de l’artère fémorale superficielle droite a subi une chirurgie carotidienne sous anesthésie loco-régionale, au sein d’une clinique privée.
Lors de la chirurgie, le patient a souffert d’une crise convulsive généralisée, dont il est ressorti hémiplégique.
Il est décédé quelques années après cet accident médical.
A la suite de ces évènements, les ayants droit du patient décédé ont assigné en responsabilité et indemnisation le chirurgien du défunt, son assureur et l’ONIAM.
Par un arrêt du 22 octobre 2020, la cour d’appel de PARIS a rejeté l’ensemble de leurs demandes et a mis l’ONIAM hors de cause, retenant que la condition d’anormalité du dommage n’était pas remplie.
Selon les juges du second degré, il ressortait des conclusions expertales que l’état de santé du patient était la conséquence de l’évolution prévisible de la pathologie qu’il présentait antérieurement à l’hospitalisation et à l’intervention chirurgicale, qui n’ont fait qu’accélérer le processus d’involution cérébrale liée à une démence vasculaire déjà présente.
Devant la Cour de cassation, la question s’est donc posée de savoir si la condition d’anormalité du dommage était remplie lorsque l’intervention médicale a provoqué la survenue prématurée des troubles auxquels la victime était naturellement exposée.
Rejoignant la position du Conseil d'Etat, la Cour de cassation considère désormais que lorsque l’intervention a provoqué la survenue prématurée des troubles auxquels la victime était exposée, il pouvait être considéré que l’acte médical a entrainé des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie à court terme.
En se prononçant ainsi, la Cour suprême de l’ordre judiciaire est venue élargir les critères d’appréciation de la condition de l’anormalité du dommage.
Pour rappel, en matière d’accident médical non fautif, la victime peut obtenir une réparation et une indemnisation de la part de l’ONIAM, agissant au titre de la solidarité nationale.
Toutefois, pour que l’ONIAM puisse indemniser la victime, cette dernière doit pouvoir prouver qu’elle se trouve bien dans le cas d’un accident médical non-fautif, qui répond à l’ensemble des conditions fixées par la loi justifiant l’intervention de l’ONIAM.
Parmi ces conditions se trouve notamment la condition de l’anormalité du dommage.
Il résulte de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique que la condition d'anormalité du dommage doit être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l'absence de traitement et que, dans le cas contraire, les conséquences de l'acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible (inférieure à 5%).
Avec son arrêt du 6 avril dernier, la Cour de cassation a élargi sa définition de l'anormalité.
La Haute Cour reproche ainsi aux juges du fond de décider que le critère de l’anormalité du dommage n’était pas rempli, sans avoir pris en compte le fait que l’intervention avait entraîné, de manière prématurée, la survenue des troubles auxquels la victime était exposée.
Par conséquent, il est désormais affirmé par la Cour de cassation que la survenue de troubles prématurés du fait de l'acte médical remplit la condition de l'anormalité du dommage et ouvre également droit à indemnisation par l'ONIAM.
Néanmoins, et dans un tel cas, l’indemnisation du patient n’est due que jusqu’à la date à laquelle les troubles seraient apparus en l’absence de survenance de l’accident médical.
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A travers cet arrêt, la Cour de cassation s’est alignée sur la position du Conseil d'Etat, qui avait également considéré dans un arrêt du 13 novembre 2020 (n°427750), que l’apparition de troubles, bien qu’inévitable à terme compte tenu de la pathologie du patient, mais provoqués prématurément par un acte médical, permettait de remplir la condition d’anormalité du dommage.
Il s’agit d’un revirement de jurisprudence par lequel la Cour de cassation a élargi les cas dans lesquels pouvait être retenue la condition d’anormalité du dommage.
Cependant, contrairement au Conseil d’État, la Cour de cassation limite l’indemnisation due à la victime dans le temps.